Thierry CHURIN  - Le château d'Alençon vers 1440
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Cadre naturel et matériaux de construction

à gauche et en haut : arkose ; à droite : granit local altéré ; 
au centre : mortier de chaux

Arkose d'Alençon : grès qui serait issu de la resédimentation des résidus
d'érosion du granit. Il est donc riche en grains de quartz plus durs que le 
fer doux, liés par un ciment plus dur que le mica ou le feldspath orthose 
du granit. La roche n'est pas homogène, parfois le sable est majoritaire,
en lits, parfois le liant est prépondérant avec un aspect vitrifié mais opaque.
Le fer, déjà présent dans le granit est ici oxydé, ce qui donne à la roche 
une couleur rouille. L'arkose se taille par chocs, produisant des blocs à
facettes mais jamais un beau poli. Elle est impropre à la sculpture.





arkose friable


arkose vitreux, sédiments disposés en lits

Cadre naturel

La ville d’Alençon est construite dans une dépression, au contact de terrains sédimentaires calcaires et des terrains primaires du Massif Armoricain. Sa situation, à la traversée de la Sarthe, permet de penser qu’il s’agit d’un ancien vicus routier placé au contrôle de plusieurs voies de passage, routes ou gués, qui permettent la communication sur l’axe des petites plaines installées à la bordure du Massif Armoricain. Les péages associés étaient une source non négligeable de revenu. 

Le réseau hydrographique, à la confluence de la Briante et de la Sarthe a probablement joué un rôle majeur dans la localisation puis l’extension du site castral primitif,  qu’il soit utilisé à des fins tactiques, comme le mentionnera Orderic Vital en 1118, ou que l’on sut tirer parti pour alimenter le moulin attesté dès 1204. Moulin banal dont l'usage était à la fois obligatoire et payant. Les deux vallées sont encombrées d’îles isolées par de multiples bras des cours d’eau. La rive droite, où se trouve le château est particulièrement humide. 

L’intérêt du site est lié à la présence d’un soubassement granitique. Ce granite, présent à faible distance sous les alluvions, offre des appontements stables (G. Louise, 1991, p. 69). Mais on ne sait pas à quelle profondeur se situe la roche sous le château ni de quelle roche exacte il s’agit.

Le château était doublé d’un parc de 36 ha attesté dès le XII ème S.

Matériaux de construction, l'arkose d'Alençon

En absence de comptes de construction, nous sommes limités à des observations archéologiques ou à glaner des indices en archives.

Les trois tours qui restent sont intégralement en granit. Les gisement à ciel ouvert peuvent être à Condé-sur-Sarthe ou sous la Halle aux Toiles. Ce granit de surface est relativement friable, ce qui a permis une construction en grand appareil. Quand la façade du châtelet a été modifiée et des fenêtres murées, elles l'ont été avec un granit plus gris, exempt de traces de rouille et plus dur. Il est donc facile de distinguer les parties d'origine des ajouts. L'observation des trois tours restantes pourrait laisser croire que tout le château était en granit, or il n'en est rien. Déjà, la courtine qui relie la tour Couronnée au châtelet, pourtant contemporaine,  est construite en lits alternés de gros blocs de granit, d'une part, et de blocage de moellons d'arkose. La courtine (détruite) reliant le châtelet à la tour du Chevalier était pareillement construite. Sur la fig 7, il apparaît que la tour rectangulaire qui protège la garde robe était aussi rayée horizontalement. Toutes ces constructions sont probablement contemporaines et tardives : vers 1400.

Les tronçons de la braie conservés près de la Caisse d'Épargne sont en arkose, seules les canonnières et les tablettes de couverture (d'époque ?) sont en granit. Les deux tronçons de rempart fouillés en 1990 sont en mélange d'arkose et de grès armoricain. La présence de cette dernière roche fréquente sur la Butte Chaumont et dans tout le massif d'Ecouves a de quoi surprendre ici. Bien rares sont les maisons alençonnaises construites en grès. Le logis et le mur 4 fouillés en 1990 sont entièrement en arkose, de même que le tronçon de mur de ville qui longe le parking de la Dentelle. 
Alors qu'aucun gisement d'arkose n'est précisément localisé,  le nombre de maisons construites en arkose entre 1750 et 1820 (juste au  moment où l'on abattait le plus de tours) laisse penser que la majeure partie du château était en arkose.

Mais où étaient donc les carrières d'où ont été extraites ces centaines de tonnes d'arkose depuis la période romaine ? Les fondations romaines massives des bâtiments romains des Grouas (ZI nord) sont des tranchées comblées avec des gros déchets de taille d'arkose,  de même que les bases du porche d'entrée de la villa de Colombiers, alors que sur ces deux sites, du calcaire est immédiatement disponible en dessous et en abondance !

Le seul affleurement connu de cette roche est dans le lit de la Sarthe, de part et d'autre du Pont de Sathe. Il est probablement à l'origine de la première industrie d'Alençon : la fabrication de meules à grain, par centaines. Une vingtaine d'ébauches ont été trouvées en 1882 dans la vase de la Briante sous l'annexe de la mairie, face à la Caisse d'Épargne. Des ébauches plus ou moins ratées ont aussi été trouvées mêlées aux gros déchets de taille sur le site des grouas (à l'époque nous les prenions pour des tronçons de colonne en réemploi). Pour finir, une bonne part des meules romaines que l'on trouve sur les sites romains ornais, jusqu'à L'Aigle et Argentan, sont en arkose alors que cette roche n'est pas si fréquente. Une recherche spécifique serait certainement fructueuse.
Si la fabrication des meules fournissait du travail et des revenus aux Alençonnais, elle ne leur donnait pas la santé : des études du XIX ème siècle, montrent que les tailleurs de meule avaient la réputation de mourir de la silicose avant 35 ans.

Sur mes reconstitutions, je donne une teinte plus rougeâtre aux parties en arkose. Le gris pâle représente le granit quand il est majoritaire.

Autres matériaux

Les archives nous informent que le couronnement et les tourelles du donjon étaient en "pierre blanche" (calcaire). Cette roche facile à tailler et à sculpter est abondante dans toute la plaine, par exemple à Radon.

Les toits étaient selon les bâtiments couverts en tuile plate (de forme identique à celles des vieilles maisons d'Alençon) ou en ardoise (je le mentionne avec la description de chaque édifice quand l'information est connue). La tuile est de production locale, de bonnes argiles avec ou sans mica existent partout. J'en ai retrouvé beaucoup en fouille en 1990. L'origine de l'ardoise est inconnue. Les bâtiments annexes pouvaient aussi être couverts en chaume ou en essentes de chêne ou de châtaignier. En cas d'attaque, ils ne résistaient pas au feu.

Les sols pouvaient être en dales de granit comme au  rez de chaussée de la prison, en pierre blanche (grande chapelle), en tomettes carrées d'argile incrustées de pâtes de couleur formant des motifs figuratifs (je n'en ai pas trouvé en fouille mais le moindre sondage dans les cours en livrerait certainement). 

Le bois était abondamment utilisé. Les premières tours étaient certainement entièrement en bois et torchis. Le donjon a certainement été la première vraie construction en pierre et en chaux au début du XII ème siècle. Par la suite c'est l'intégralité des murs défensifs qui ont été reconstruits en pierre, avec ou sans chaux (les pierres du logis étaient liées à la terre). Le mur en pierre pouvait être doublé d'une solide palissade en bois placée en avant comme premier obstacle (les archives le mentionnent). Le bois était encore massivement utilisé pour les hourds, les charpentes, les ponts, les planchers, les galeries extérieures, les escaliers (surtout avant la multiplication des escaliers à vis en pierre au XV et XVI ème s.)...

Les métaux ont bien sûr été utilisés, principalement le fer pour les clous, les chaînes des ponts levis... Le bronze, le cuivre et le plomb pour les multiples décorations des toitures et faîtières (voir le lanternon du châtelet)... mais là encore, nous n'avons plus les comptes d'époque.

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