Thierry CHURIN - Le château d'Alençon vers 1440
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La haute cour ou prael


au second plan, la haute cour donnait sur le grand parc (image Marc CHURIN)

Haute et basse cour
 
Dans un château médiéval on distinguait la partie noble, résidence du seigneur, lieu du pouvoir et  réduit le mieux défendu, et la basse cour qui regroupait les activités de service: moulin, forge, écuries... sans que les mots haute et basse aient forcément un lien avec l'altitude. 
Le plus souvent, le seigneur implantait malgré tout sa tour maîtresse dans le lieu le plus élevé, plus facile à défendre  et symbole de sa condition. Les locaux de la basse cour, souvent construits plus modestement s'implantaient plus bas.
Le problème c'est que le château d'Alençon est construit juste en bordure d'une vallée alluviale semi marécageuse sans relief marqué. 
Il devait pourtant certainement exister un pointement plus rocheux de quelques mètres qui a justifié l'implantation du donjon à cet endroit précis, le reste du château s'établissant autour en aménageant le secteur par remblais et détournements de bras de rivière. 
Le lit principal de la Briante devait descendre le bas de la rue de Bretagne puis passer sous la place Masson. En édifiant le barrage de la rue de la Chaussée (chaussée d'étang ?), les constructeurs accentuaient le marécage autour du donjon. Le bras passant derrière le palais de justice, destiné à compléter l'encerclement du donjon en circulant dans des terrains plus élevés, serait de création ou de sur creusement artificiel .

Seuls des sondages pourraient débrouiller la chronologie de ces aménagements mais à défaut de moyens pour les entreprendre vous pouvez circuler à vélo dans tout le quartier pour mieux percevoir les micro reliefs. 
A remarquer qu'en raison de l'omniprésence de l'eau, toute forme de souterrain à usage militaire est impensable à moins de pouvoir passer en scaphandre (désolé pour les légendes) ; mais les drains et les égouts ne sont pas exclus.


perspective de 1637 (fig. 1)

Quelle était l'altitude des
hautes cours ? 

La réponse à cette question est indispensable à toute restitution en 3D et importante pour prévenir le risque archéologique sur la Place Foch : si l'ancien sol était très haut, tout est déjà détruit ; s'il était très bas, les couches d'occupation sont préservées sous la place avec fondations et dépotoirs.
J'ai pu observer les terrains entre la mairie et les arrières du palais de justice en septembre 2017 lors des creusements pour la pose des tuyaux du chauffage urbain: sur une hauteur de 1,5 m, le terrain est assez homogène, constitué de terre marron rouille mêlée de nombreux cailloux d'arkose parfois très gros. Ils sont disposés sans pendage ni organisation. Ce ne sont pas des moélons de construction de parements, plutôt des blocs informes de faible valeur pour une construction. Nulle trace de sols, de chaux ou de fragments de tuile ou ardoise. pas de poterie ou de trace anthropique. Cette terre n'est donc pas un déblai de démolition. Je l'interprète plutôt comme les restes d'un grand tertre amassé en provenance du creusement des fossés pour surélever la future haute cour.
Les sols médiévaux ont pu être éliminés lors de l'arasement de la haute cour pour reboucher les larges douves.¤¤¤
 

"Élévation actuelle du donjon", De Cessart, 1767-1775 (fig. 15)


A gauche le donjon, à droite les escaliers (?) du projet de jardin (fig. 17)


Plan de 1746 (fig. 2)

¤¤¤ En 2005, malgré des heures de réflexion, je n'étais pas parvenu à une conclusion certaine et j'avais fait l'hypothèse que le niveau moyen de la haute cour était à NGF 136,65 m soit un mètre au dessus du seuil du châtelet actuel, 48 cm sous le seuil de la mairie, 3,85 m au dessus de la lice (espace compris entre l'enceinte extérieure ou braie et l'enceinte principale), elle même pratiquement au niveau de l'eau dans les douves.

La haute cour devait être plus haute que la basse-cour puisqu'accessible par une "rampe" longeant la chemise du donjon (fig. 15).  Sur ce dessin de De Cessart, la différence de niveau est de 6,50 m , ce qui est considérable et absolument incompatible avec l'épaisseur du mur d'enceinte principal observé en fouille près de la mairie. Il aurait eu à retenir plus de 9 m de remblais ! Le monticule à droite sur la fig. 15 est probablement un tas de gravats résultant de démolitions. Il n'indique certainement pas le niveau moyen de la haute cour.

Le projet de promenade (fig17) est difficile à interpréter : j'y verrais bien 2 escaliers pour descendre de la haute cour à la lice avec une différence de niveau de 1 à 2 m. Or le niveau ancien de la lice est connu par ma fouille en 1990 : NGF 132,80 m près de la mairie, bien plus bas que 1 à 2 m. Mais il est possible que la lice et le fossé avaient déjà été largement remblayés par les gravats de démolition dès avant la conception du projet en1776.

La perspective de 1637 (fig. 1) montre que le mur principal d'enceinte, créneaux compris, montait presque jusqu'au niveau de la sablière de la chapelle. Celle-ci semble être assez imposante et élancée avec galerie intérieure, d'un type proche de celle d'Essai, ce qui suppose un mur au moins haut de 8-9 m par rapport à la haute cour. Si j'ajoute ces 8 m aux 3,85 m observés en fouille on obtient une muraille principale haute de 11,85 m créneaux compris, ce qui est vraisemblable.

Mais ce niveau à l'intérieur de la haute cour a pu évoluer dans le temps car lors de la fouille de 1990, dans l'angle de la mairie, j'ai observé un mur (Mu1) associé à une probable couche d'occupation située très bas, à NGF 133,50. La couche était apparemment entaillée par la tranchée de fondation de la dernière reconstruction du rempart principal. Le sol a pu être rehaussé à cette occasion ; le rez-de-chaussée du logis, tout proche, devenant une cave citée en archives. Il a alors fallu créer une rampe d'accès à la haute cour, rampe qui n'a pas toujours existé si l'on en juge aux deux portes ogivales murées sur la chemise  du donjon. La rampe leur arrive à mi hauteur (fig15).

Cette hypothèse d'un important remblai pouvant atteindre 3 m d'épaisseur, déposé assez vite lors d'une phase de construction cadrerait assez bien avec l'absence de toute découverte lors du creusement de la puissante fondation des deux récentes tours rectangulaires escalier de la mairie. Le sol de la haute cour avait été creusé sur plusieurs dizaines de mètres carrés, jusqu'à plus de 2,50 m de profondeur sans aucune surveillance archéologique dans un lieu pourtant sensible (Le conservateur des antiquités que j'avais alors appelé, m'avait certifié ne pas avoir été averti du début effectif des travaux ! C'est là l'inconvénient d'un département qui n'héberge aucun archéologue professionnel. Pareille chose est impensable au château de Caen). J'avais dû me risquer à descendre dans les trous pour observer les stratigraphies qui ne montraient, de bas en haut, qu'une unique couche de remblai de pierraille peu  tassée et inorganisée, sans poterie ni couche d'occupation. Le dernier sol de la cour, proche de la surface actuelle, devait être détruit ; les niveaux les plus anciens doivent encore être dessous aux environs de 3,20 m de profondeur ? 
Cette observation ancienne corrobore mon observation des tranchées de 2017.

Le niveau de la dernière haute cour était-il régulier? Difficile de le deviner : la fig. 18 ne montre aucun relief alors que sur la fig. 2 (1746), l'espace est cloisonné par plusieurs murets qui peuvent être autant de limites de terrasses. Par simplification et faute d'informations fiables, en 2005 j'avais choisi de restituer une haute cour plate à NGF 136,65 m. Si j'avais à la refaire en 2017, je la placerais environ 1 m plus haut. 
Mais la réalité devait être plus complexe et a forcément évolué en 5 siècles d'occupation.
 


 

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