Le château, c'est en premier lieu un souvenir d'enfance : quand j'avais
4-5 ans je regardais les tours par les fenêtres de ma cuisine du
2 rue de l'Air Haut. Ma cousine faisait coucou de la main aux prisonniers
qui lui répondaient. Cela inquiétait le reste de la famille!
Des maisons anciennes s'écroulaient
dans un grand nuage de poussière (rue Bonnette). C'était
l'époque des démolitions. En abattant un mur, des terrassiers
avaient découvert une épée, une vraie ! Il y avait
donc encore des secrets à découvrir. Dans mon jardin, je
reconstruisais le château en terre et en cailloux.
Par la suite j'ai toujours collectionné les articles de presse et
les copies de gravures du château (les originaux m'importent peu,
seule l'information contenue m'intéresse).
Pendant 25 ans, j'ai pensé qu'il était impossible de dépasser
la précision des dessin de l'architecte L. Hédin parus en
1855 dans le Journal d'Alençon et mille fois reproduits. Fruits
d'un énorme travail, avec les moyens limités de l'époque
et une bonne foi dont je ne doute pas. Ils sont à la fois précis
et vivants... mais partiellement faux !
Ce n'est qu'après une maîtrise d'archéologie et 10
ans de pratique de terrain, dont pas mal de dessin architectural,
que j'ai découvert ces erreurs, presque par hasard :
En avril 1990, en passant
près de la mairie, mon regard s'est arrêté sur un grand
trou que l'architecte en charge de la rénovation du bâtiment
venait de faire creuser, dans l'angle, au droit les bureaux de l'État
civil, pour vérifier les fondations.
L'excavation laissait voir
deux gros murs qui se sont révélés être les
deux remparts est du château (voir
le rapport de fouille).
L'écart entre les
deux n'était que de 2,50 m, alors que sur la gravure, 6 m
de lice les séparent. Ainsi, à la première vérification,
le dessin de Hédin se retrouve erroné de 240 % (voir
les gravures de L. Hedin et leur critique).
Persuadé que la documentation manquait pour faire mieux, je n'ai
pas cherché plus. L'oncle de ma femme, André Eschbaecher,
architecte chargé de l'entretien du château dans les années
1930 avait aussi noirci des mètres carrés de calque sur le
même thème, mais avec les mêmes erreurs.
Ce n'est que 10 ans plus tard, en feuilletant les premiers articles d'Isabelle
Chave, que j'ai pris conscience du nombre de plans et de gravures
disponibles. La multitude de détails dispersés dans sa thèse
laissait entrevoir une restitution possible. Restait à juger quel(s)
plan(s) était le plus véridique.
Sans savoir si j'irai bien loin, je me suis procuré un relevé
précis au 200 ème de la place Foch, des extraits du cadastre,
et j'ai entrepris de reporter sur un calque, à l'échelle,
manuellement, tous les tracés des plans anciens.
Ceux qui colleraient avec
l'existant encore debout et les murs trouvés en fouille auraient
de bonnes chances d'être aussi justes pour les parties détruites.
Le plan
de 1746, par exemple, est particulièrement faux : l'écart
entre l'enceinte principale et enceinte extérieure enfermant la
lice est beaucoup plus large que ce que montre la fouille. C'est probablement
ce plan ainsi que la perspective de Le Queu (vers 1785), tout aussi imprécise
et idéalisée qui ont servi de base à L. Hédin.
C'est alors que j'ai découvert le Projet de double promenade,
tracé par de Cessart en 1776. Pour inclure ses massifs végétaux
géométriques, il a eu besoin de relever précisément
la position de chaque mur. Les erreurs sur les grandes mesures sont seulement
de l'ordre de 0,5 %. Il colle parfaitement avec ma fouille de 1990 et avec
les fondations de ponts qui apparaissent dans la Briante.
Il n'est pourtant pas parfait
car le donjon est visiblement trop petit.
En fait, de Cessart a relevé précisément ce qui était
dans l'emprise de son projet de jardin, en négligeant un peu le
reste.
Maintenant que j'avais le plan des tours, il restait à en chercher
l'élévation. Car l'inconvénient, et l'avantage, de
l'outil informatique c'est qu'il force à tout définir :
Les informations sont saisies
sous forme de chiffres au centimètre près.
Pour une tour, par exemple,
il faut au minimum les coordonnées de l'axe, en X, Y et Z , relevées
sur le calque au 200 ème, puis un diamètre, une hauteur...
Pour cette dernière mesure, nous disposons de plusieurs gravures,
montrant des élévations pas toujours concordantes. A chaque
fois, il faut trancher, avec logique, et noter le pourquoi de ces choix.
Ces 50 pages de notes et de calculs ont été résumées
tout au long du CD.
Contrairement à ce que je pressentais, les vrais dilemmes ont été
rares. Les grandes incertitudes concernent la position exacte du donjon
(sa localisation sur l'axe est ouest se joue à 2 m ou 3 m près)
; les formes médiévales de l'éperon et l'extension
des créneaux sur mâchicoulis qui ont remplacé partiellement
les hourds en bois. J'ai aussi préféré ne pas figurer
les nombreux bâtiments de service qui devaient apparaître
et disparaître, au gré des besoins. J'ai oublié les
herses des ponts levis ; négligé les détails des trois
tours encore en place (mâchicoulis, détail des moulures et
taille précise des fenêtres et des portes que je n'ai pas
eu le droit de mesurer...). Tant que le pavillon était occupé
par la prison, l'étude en était impossible. Dans le contexte
sécuritaire, la moindre mesure était secrète. C'est
aussi pour cette raison que je me suis limité à l'enveloppe
extérieure des bâtiments.
Chaque bloc numérisé a été inclus par la machine
à l'ensemble, et, à tout instant, on pouvait voir le résultat
sur l'écran, faire tourner la "maquette" pour l'orienter comme les
gravures, détecter et corriger les aberrations.
Quand toutes les pièces ont été placées, j'ai
tiré une centaine de clichés et une dizaine de films, sans
soigner les couleurs et les atmosphères. Mon but était que
sur les pages du CD, on ne puisse pas confondre mes reconstitutions (couleur
"schéma de dictionnaire") avec les documents anciens.
Puis j'ai confié le fichier à mon fils Marc, à l'époque
étudiant à l'École supérieure d'Art de Lorient,
pour qu'il tente d'en tirer un résultat plus réaliste et
artistique, mais avec une prise de risque plus importante avec la vérité
historique... qui nous échappe. Ce dernier type de rendu suppose
un matériel plus perfectionné (plus de mémoire vive
et des logiciels plus performants) et un travail d'équipe pour réaliser
toutes les tâches.
Marc avait alors colorisé
quelques images que vous trouverez sur ce site et produit un film avec
musique et acteurs, présenté à Alençon lors
des journées du patrimoine en 2005. Depuis, il en a fait son métier
et grâce aux progrès de l'informatique pourrait faire beaucoup
mieux.